QUELQUES-UNS DE CEUX QUI ÉTAIENT LA
1
Dayas Hall avait très certainement souffert pendant les années de guerre. Les mauvaises herbes avaientenvahi une partie du jardin. Le potager, pourtant, était déjà presque remis en état.
Craddock y rencontra un vieil homme qui, les avant-bras appuyés sur sa bêche, rêvait en ne pensant probablement à rien.
— C’est Mrs. Haymes que vous cherchez ? Je ne sais guère où vous pourrez la trouver ! C’est une femme qui a ses idées à elle et qui fait ce qui lui chante ! Les conseils, elle n’en veut pas. Pourtant le jardinage, ça ne s’apprend pas en vingt-quatre heures. Ah ! mais non...
— Il faut que je la voie...
— Qu’est-ce que vous lui voulez ? Vous êtes de la police, n’est-ce pas ? C’est elle qui a des ennuis ou bien venez-vous simplement pour l’histoire d’hier soir, à Little Paddocks ? Tom Riley croit que ce sont des étrangers qui ont fait le coup et il est persuadé que cette fille qui est cuisinière chez miss Blacklock et qui a si mauvais caractère est complice... Marlène – c’est la serveuse du bar prétend que, contrairement à ce que les gens s’imaginent, il y a, à Little Paddocks, largement de quoi tenter des voleurs. Bien sûr, qu’elle dit, miss Blacklock s’habille très simplement, à part ces colliers de perles fausses qu’elle porte... Mais, qu’elle dit, Marlène, qu’est-ce qui vous prouve que c’est vraiment des perles fausses ?
Le vieux s’interrompit pour reprendre haleine et poursuivit :
— Pour ce qui est de l’argent, miss Blacklock n’en a jamais chez elle. C’est Jim Huggins qui le dit et il est placé pour le savoir, vu que sa femme va faire le ménage à Little Paddocks et qu’elle est fureteuse comme pas une ! Toujours à fourrer son nez partout, vous comprenez ?
— A-t-elle une opinion sur l’affaire d’hier soir ?
— Elle dit que Mitzi est sûrement dans le coup ! Une fille qui prend des grands airs et qui ne se gêne pas pour dire à Mrs. Huggins en pleine figure qu’elle n’est jamais qu’une femme de ménage !
Craddock écoutait, tout en réfléchissant. Les propos du jardinier le renseignaient de façon assez précise sur l’opinion à Chipping Cleghorn, mais tout cela ne l’aiderait guère dans sa besogne. Il mit fin à la conversation et s’éloigna vers le verger, le vieux lui ayant dit qu’il était possible qu’il y rencontrât celle qu’il cherchait.
Phillipa Haymes était bien dans le verger, où elle faisait la cueillette des pommes. Craddock ne vit tout d’abord qu’une paire de jolies jambes, prises dans un pantalon d’homme, qui se laissaient glisser le long d’un arbre. Arrivée au sol, un peu échevelée, Phillipa aperçut le policier.
— Bonjour, madame ! dit-il, allant vers la jeune femme. Je suis l’inspecteur-détective Craddock, de la police du Middleshire, et je serais heureux d’avoir avec vous un instant d’entretien.
— A propos d’hier soir ?
— Oui.
— Où pourrions-nous...
Elle cherchait des yeux autour d’elle. Craddock, d’un signe, montra un tronc d’arbre abattu.
— Je vous ennuie, mais je ne vous dérangerai pas plus longtemps qu’il ne sera indispensable.
— Merci.
— Il ne s’agit que de l’habituelle routine policière. A quelle heure, hier soir, avez-vous quitté votre travail ?
— Vers cinq heures et demie. J’étais restée vingt minutes de plus pour finir d’arroser les fleurs de la serre.
— Par quelle porte êtes-vous rentrée ?
— Par la porte de côté. Au lieu de suivre la grande allée, on va vers les poulaillers. C’est plus court et, comme ça, on ne salit pas le perron. Il y a des jours où mes souliers sont pleins de boue.
— Vous rentrez toujours par là ?
— Toujours.
— La porte n’était pas fermée à clef ?
— Non. L’été, on la laisse grande ouverte. En cette saison, on la ferme, mais pas à clef. Une fois rentrée, j’ai mis le verrou.
— Comme toujours ?
— Depuis une huitaine, oui. Vous comprenez, à six heures, maintenant, il fait noir...
— Et, une fois rentrée, qu’est-ce que vous avez fait ?
— Je me suis débarrassée de mes énormes souliers de jardin, je suis montée, j’ai pris un bain et mis des vêtements propres. Après quoi, je suis descendue et je me suis aperçue qu’il y avait au salon une petite foule. A ce moment-là, j’ignorais encore la stupide annonce que vous savez...
— Maintenant, parlez-moi du « hold-up » ! Que s’est-il passé exactement ?
— L’électricité s’est éteinte...
— Où étiez-vous ?
— Près de la cheminée, en train de chercher mon briquet, que je croyais avoir posé sur le manteau. L’électricité, donc, s’est éteinte et les gens ont poussé toutes sortes de petits cris amusés. Puis, la porte s’est ouverte brusquement, l’homme a braqué une torche électrique sur nous et, brandissant son revolver, nous a ordonné de mettre les mains en l’air.
— Ce que vous avez fait ?
— Ma foi ! personnellement, je n’ai pas bougé ! Je pensais qu’il s’agissait d’une plaisanterie, j’étais fatiguée et il ne me paraissait pas obligatoire d’obéir.
— Toute l’histoire vous semblait ridicule ?
— Plutôt, en effet. Ensuite, il y a eu les coups de revolver et j’ai eu très peur... La torche continuait d’aller et de venir, puis elle est tombée et s’est éteinte. Après ça, Mitzi a commencé à crier...
— La lumière de la torche vous a-t-elle paru aveuglante ?
— Pas spécialement... Ce qui n’empêche qu’elle était très crue. A un certain moment, elle éclairait miss Bunner et la pauvre avait l’air d’un navet-fantôme... Elle était livide, la bouche grande ouverte, avec des yeux qui lui sortaient de la tête...
— La lumière bougeait ?
— Sans arrêt. L’homme la promenait tout autour de la pièce...
— Comme s’il cherchait quelqu’un ?
— Non, il ne m’a pas semblé...
— Et ensuite ?
Phillipa Haymes fronça le sourcil.
— Ensuite, nous nous sommes trouvés en pleine confusion. Edmund Swettenham et Patrick Simmons ont allumé des briquets et sont sortis dans le vestibule, nous avons suivi et quelqu’un a ouvert la porte de la salle à manger, où la lumière ne s’était pas éteinte. Edmund Swettenham a administré à Mitzi une terrible gifle, afin de la calmer, et, après, les choses ont commencé à aller mieux.
— Vous avez vu le mort ?
— Oui.
— Était-ce quelqu’un que vous connaissiez ?
— Non.
— Vous ne l’aviez jamais rencontré ?
— Jamais.
— D’après vous, a-t-il été victime d’un accident ou s’est-il donné volontairement la mort ?
— Là-dessus, je n’ai pas d’opinion.
— Vous ne l’aviez pas aperçu lorsque, quelque temps auparavant, il était venu à Little Paddocks ?
— Non. Il a dû venir à la fin de la matinée, à une heure où je n’étais pas là. Je suis absente presque toute la journée.
— Une dernière question, Mrs. Haymes. Avez-vous des bijoux de valeur ? Des bagues, des bracelets ?
Phillipa secoua la tête.
— Ma bague de fiançailles... Une broche ou deux...
— Et, autant que vous le sachiez, il n’y a, dans la maison, rien qui soit de grand prix ?
— Non. Il y a de l’argenterie, qui est belle, mais sans être exceptionnelle...
— Je vous remercie, Mrs. Haymes.
2
En s’en allant, Craddock, comme il traversait le potager, se trouva nez à nez avec une dame à la grosse figure rougeaude. Elle répondit d’un ton agressif à son bonjour et lui demanda ce qu’il faisait là.
— Mrs. Lucas, sans doute ? s’enquit-il. Je suis l’inspecteur-détective Craddock.
— Ah ?... Alors, excusez-moi ! Seulement, vous comprenez, je n’aime pas que des étrangers s’introduisent chez moi et fassent perdre leur temps à mes jardiniers. Vous, c’est différent ! Il faut bien que vous fassiez votre service.
— Très juste.
— Et puis-je vous demander si nous devons nous attendre à voir se renouveler la scène d’hier soir ? S’agit-il d’une bande ?
— Nous sommes persuadés du contraire.
— Tant mieux !... Vous êtes venu interroger Phillipa Haymes ?
— Elle a été témoin des faits. Je tenais à l’entendre.
— Et vous n’auriez pas pu attendre jusqu’à une heure de l’après-midi, j’imagine ? Somme toute, il aurait peut-être été plus indiqué de prendre plutôt sur son temps que sur le mien...
— J’ai cru comprendre que Mrs. Haymes a quitté son travail hier à cinq heures vingt, et non à cinq heures ?
— C’est exact et je lui rendrai cette justice qu’elle est consciencieuse, encore qu’il y ait des jours où je la cherche dans tout le jardin sans pouvoir mettre la main sur elle. Évidemment, c’est une dame qui a eu des revers, une veuve de guerre et le devoir nous commande de faire quelque chose pour ces malheureuses femmes. Mais cela ne va pas sans inconvénients. Les vacances scolaires n’en finissent pas et il est entendu qu’à cette époque-là je lui accorde des jours de congé supplémentaires. Je lui ai bien dit qu’il y avait maintenant d’excellents camps de vacances où l’on peut envoyer les enfants et où ils sont très heureux, mais elle est têtue comme une mule, elle tient à avoir son fils auprès d’elle quand il n’est pas en pension... Et cela, juste au moment où il faut tondre le court de tennis et le marquer presque tous les jours ! Bien sûr, le vieil Ashe s’en charge... Mais ses lignes ne sont jamais droites ! Les gens, maintenant, font ce qui leur plaît et on ne se soucie jamais de ce que je peux vouloir, moi !
— Je suppose que Mrs. Haymes accepte un salaire réduit ?
— Naturellement. Que pouvait-elle espérer d’autre ?
— Rien, bien sûr ! Au revoir, madame !
3
— Ces minutes-là ont été terribles ! déclara Mrs. Swettenham avec intense satisfaction. Terribles, vraiment ! Et j’estime que la Gazette devrait surveiller de plus près le texte des annonces qu’elle accepte ! Celle-là, quand je l’ai lue, je l’ai trouvée très bizarre...
— Vous rappelez-vous exactement ce qui s’est passé lorsque la lumière s’est éteinte ?
— Nous sommes tous restés là, à nous demander ce qui allait arriver. Et c’est alors que c’est devenu passionnant ! La porte s’est ouverte et on a vaguement distingué dans le noir la silhouette d’un homme qui tenait un revolver à la main et qui, nous aveuglant avec le jet puissant de sa torche électrique, criait : « La bourse ou la vie ! » J’avoue que j’étais ravie. Et puis, c’est devenu épouvantable ! Des balles, de vraies balles, sifflaient à nos oreilles !
— A ce moment-là, madame, où étiez-vous exactement ?
— Voyons... Où étais-je ? A qui étals-je en train de parler, Edmund ?
— Ça maman, je n’en ai pas la moindre idée.
— Etais-je en train de demander à miss Hinchliffe si je ne devrais pas, cet hiver, donner de l’huile de foie de morue à mes poules ou bien est-ce que je parlais avec Mrs. Harmon ?... Mais non, elle venait seulement d’arriver... Oui, c’est ça ! Je bavardais avec le colonel Easterbrook, à qui je disais justement qu’il me paraissait bien imprudent de créer en Angleterre un centre de recherches atomiques, qui serait bien mieux à sa place dans une île déserte.
— Vous ne vous rappelez pas exactement l’endroit où vous vous trouviez ?
— Vous croyez que cela présente de l’importance, inspecteur ?... Je devais être près de la fenêtre ou de la cheminée, car j’étais à côté de la pendule quand elle a sonné.
— Vous dites que la lumière de la torche était aveuglante. Était-elle tournée vers vous ?
— Je l’avais en plein dans les yeux et j’en étais tout éblouie.
— L’homme tenait-il sa torche immobile ou la promenait-il d’une personne à l’autre ?
— Vraiment, je ne saurais dire. Qu’en penses-tu, Edmund ?
— Il la déplaçait lentement, sans doute pour nous surveiller tous, pour le cas où quelqu’un aurait eu l’idée de lui sauter dessus.
— Et vous, monsieur Swettenham, où étiez-vous exactement ?
— Je causais avec Julia Simmons. Nous étions au milieu de la pièce.
— Pensez-vous que l’homme s’est suicidé ou croyez-vous qu’il a été victime d’un accident ?
— Comment savoir ? Il s’est retourné brusquement, il s’est comme tassé et il est tombé, mais tout ça n’a pas été très distinct et, à dire vrai, on n’a pas vu grand-chose. Après ça, la réfugiée s’est mise à hurler...
— C’est bien vous qui, ouvrant la porte, l’avez délivrée ?
— Oui.
— La porte était bien fermée à clef, de l’extérieur ?
Edmund dévisagea le policier.
— Bien sûr ! Vous n’allez pas vous imaginer...
— Nullement. Mais j’aime bien préciser les faits. Je vous remercie, monsieur Swettenham.
4
L'inspecteur Craddock dut passer un long moment avec le colonel Easterbrook et son épouse. Il lui fallut, en outre, subir une interminable conférence sur l'aspect psychologique de l'affaire.
— L'essentiel, lui dit le colonel, c'est de comprendre votre criminel. Pourquoi votre homme annonce-t-il son forfait dans la presse? La psychologie répond. Il tient à attirer l'attention sur lui, à se mettre en évidence. Au Spa Hotel, on ne lui accorde aucune considération, on le méprise peut-être, et cela parce qu'il est étranger. Quel est, à l'écran, l'idole des foules? Le gangster, le mauvais garçon. Parfait! Il jouera les durs. Il se procure un masque et un revolver. Il fera un cambriolage à main armée. Mais il lui faut un public. Il s'arrange pour en avoir un. Seulement, au dernier moment, il se laisse emporter par son rôle : il ne campera plus un simple monte-en-l'air, mais un tueur. Il tire, à l'aveuglette...
Craddock sauta sur le mot avec empressement.
— Vous dites « à l’aveuglette », colonel. Vous ne pensez donc pas qu’il a visé quelqu’un en particulier ?
— Du tout ! Il a tiré au hasard, comme je viens de vous le dire, sans trop savoir ce qu’il faisait, et c’est parce que sa balle a porté qu’il est redevenu lui-même. Il ne s’agissait que d’une égratignure, mais il ne le savait pas... Il voit le sang et, d’un coup, il se rend compte... Il croyait jouer la comédie et il est en plein dans le réel... Il comprend qu’il a tout gâché et, affolé, tourne son arme contre lui-même...
Le colonel se tut, se racla la gorge pour s’éclaircir la voix et conclut :
— Vous le voyez, c’est d’une simplicité enfantine... Enfantine !
— Quand l’homme s’est mis à tirer, colonel, où vous trouviez- vous, exactement ?
— J’étais avec ma femme, vers le milieu de la pièce, près d’une table sur laquelle il y avait des fleurs.
— A ce moment-là, je t’ai saisi le bas, tu te souviens ? Je mourais de peur !
— Pauvre chat ! murmura le colonel avec bonté.
5
L’inspecteur rencontra miss Hinchliffe près de l’étable à porcs.
Elle considérait d’un œil satisfait un porcelet auquel elle venait d’apporter sa pitance.
— Il pousse, annonça-t-elle. Il fera de beaux jambons vers Noël. Vous vouliez me voir ? Pourquoi ? J’ai dit à vos collègues, hier soir, que je ne connaissais pas l’homme en question et que je ne l’avais jamais rencontré. Il paraît qu’il travaillait dans un grand hôtel de Medenham Wells. S’il avait eu un peu de bon sens, son « hold-up », il l’aurait fait là-bas. Il lui aurait rapporté beaucoup plus !
C’était incontestable, mais Craddock n’était pas là pour philosopher.
— Quand il a tiré, où étiez-vous exactement ?
— Adossée à la cheminée, en train de prier le Bon Dieu qu’on se décide à m’offrir à boire !
— Croyez-vous que l’homme a tiré au hasard ou qu’il visait quelqu’un ?
— Comment diable le saurais-je ? Tout ce dont je me rappelle, c’est que l’électricité s’est éteinte, que la lumière d’une torche s’est promenée sur nous, nous éblouissant tous, qu’on a tiré et qu’à ce moment-là, je me suis dit : « Si ce sacré imbécile de Patrick Simmons plaisante avec des revolvers chargés, il va sûrement blesser quelqu’un ! »
— Vous pensiez que c’était Patrick Simmons ?
— Que voulez-vous, c’était vraisemblable. Edmund Swettenham est un intellectuel, qui écrit des bouquins et que les farces n’amusent pas. Le colonel est incapable de trouver quelque chose de drôle, alors que Patrick est un garçon intenable.
— Votre amie croyait aussi que c’était Patrick Simmons ?
— Murgatroyd ? Il vaudrait mieux lui poser la question à elle-même. Elle ne sera probablement pas fichue d’y répondre, mais je vais l’appeler. Elle doit être au verger...
D’une voix de stentor, elle cria :
— Pi-ouitt ! Murgatroyd !
— Je viens ! répondit une petite voix lointaine.
— Dépêche-toi ! C’est la police !
Miss Murgatroyd arriva au petit trot, tout essoufflée. Sa bonne grosse figure rayonnait de plaisir.
— Scotland Yard ? Je n’étais pas prévenue. Sans ça, je ne serais pas sortie de la maison.
— Nous n’avons pas encore fait signe à Scotland Yard, miss Murgatroyd. Je suis l’inspecteur Craddock, de Milchester.
— Je suis sûre que c’est une très bonne police aussi.
— Ce que l’inspecteur veut savoir, Amy, c’est où tu te trouvais au moment où l’homme a tiré...
— Voyons un peu !... Eh bien ! j’étais avec tout le monde.
— Tu n’étais pas avec moi.
— Non ?... C’est vrai ! Je venais d’admirer les chrysanthèmes... De bien pauvres spécimens d’ailleurs. C’est arrivé à ce moment-là. Mais je ne me suis rendu compte de rien. Je ne croyais pas du tout qu’il s’agissait d’un vrai revolver. Et puis, dans le noir, avec cette fille qui criait, j’ai tout compris de travers : j’ai cru que c’était elle, cette réfugiée, qu’on assassinait... Mais je ne pensais pas que c’était cet homme... je ne l’avais même pas vu... J’avais tout juste entendu sa voix qui disait : « Les mains en l’air, s’il vous plaît ! »
Miss Hinchliffe corrigea :
— Il a dit : « Haut les mains ! » et il n’était pas question de « s’il vous plaît ! ».
— Le plus terrible, reprit miss Murgatroyd, c’est que, pendant que cette pauvre fille hurlait, je m’amusais beaucoup ! La seule chose qui m’ennuyait, c’était d’être dans le noir. Est-ce qu’il y a autre chose que vous voulez savoir, inspecteur ?
— Je ne crois pas.
Ce disant, Craddock échangeait un regard d’intelligence avec miss Murgatroyd.
Elle sourit.
6
L’inspecteur gagna le presbytère. La grande pièce, avec ses fauteuils, ses fleurs, les livres qui traînaient çà et là, et son désordre, lui fit plaisir à voir. Mrs. Harmon lui parut de prime abord très sympathique.
Elle se montra très franche.
— Je ne peux pas vous apprendre grand-chose, car j’ai fermé les yeux. J’ai horreur d’être éblouie. Et, naturellement, quand les coups de feu ont claqué, j’ai serré les paupières un peu plus fort !
— De sorte que vous n’avez rien vu. Mais vous avez entendu ?
— Pour ça, oui ! J’ai entendu ! Mitzi qui hurlait à faire crouler la maison et la pauvre Bunny qui gémissait, comme un lapin pris au piège ! Et tout le monde se bousculait, trébuchant dans les meubles et se raccrochant au petit bonheur ! Quand ça s’est calmé un peu, j’ai rouvert les yeux. A ce moment-là, les autres étaient dans le vestibule avec des bougies. Puis la lumière est revenue, le silence se fit, et nous vîmes ce garçon allongé par terre, un étranger avec, sur le visage, comme un air de stupeur… Une histoire sans queue ni tête, qui ne tenait pas debout...
Une histoire qui ne tenait pas debout ! C’était bien l’avis de l’inspecteur